Lucia Iraci, sicilienne à Paris

Véronique Cloître

OSEZ JOSEPHINE OU LA BEAUTE INSOLENTE

Lucia Iraci est la fondatrice de l’association française « Joséphine, pour la Beauté des Femmes » qui accueille les femmes les plus démunies qui n’ont plus les moyens d’aller chez un coiffeur traditionnel, dans une perspective de réinsertion sociale. L’association sait réconcilier vulnérabilité et beauté, avec un maître mot : l’estime de soi. Ne plus pouvoir se regarder est une souffrance, mais ne plus être regardée s’avère vite un obstacle pour retrouver un emploi, un logement, un compagnon.

« LA PRÉCARITÉ NE SE RÉDUIT PAS À LA PAUVRETÉ »
Pour Lucia, « 80 % de pauvres sont des femmes, parmi elles les moins de 25 ans et les plus de 45 ans sont les plus vulnérables. C’est parce que cet état de choses m’est insupportable que j’ai décidé de leur venir en aide. Je m’adresse à toutes les femmes qui n’ont pas un travail ou un logement, aux femmes victimes de violences, à celles qui se trouvent dans cette spirale qu’est l’esclavage moderne, à celles qui se retrouvent en précarité momentanée et, plus généralement, à toutes les femmes que la vie n’a pas épargnées. Pour ces femmes, en effet, prendre soin d’elles et se faire belles n’est plus une priorité. Les problèmes ne s’arrêtent pas à la sphère professionnelle, ils affectent également leur vie personnelle. La précarité ne se réduit pas à la pauvreté, elle se manifeste souvent dans l’instabilité et la rupture d’un parcours. L’implacable mécanisme de l’exclusion se met en marche. Or, qu’il soit question d’émancipation, de réinsertion ou de relation aux autres, un travail sur l’estime de soi est indispensable. Je m’engage à les réconcilier avec leur image et les aider à retrouver le plaisir de prendre soin d’elles, pour qu’elles s’engagent dans la relation aux autres avec une meilleure estime d’elles-mêmes ; les accompagner, pour qu’elles reprennent confiance, dans la perspective d’une recherche d’emploi et, plus généralement, dans toute réinsertion sociale. »

L’ENTREPRISE DE RÉINSERTION, JOSÉPHINE
Et pour mener à bien sa mission, l’équipe Joséphine (quelques salariés et beaucoup de bénévoles) propose plus qu’une coupe de cheveux. Ce sont aussi des soins esthétiques, manucures, conseils en image, prêts de vêtements, séances de réflexologie et yoga, cours d’alphabétisation, consultations dermatologiques, gynécologiques, psychologiques, prise en charge et conseils par une assistante sociale, invitations pour des visites culturelles… À l’extérieur, rien ne distingue le salon qui se veut discret, fondu dans le paysage. Mais le seuil franchi, le lieu sécurisé, élégant et cosy affiche un autre style. Les couleurs, la déco, tout est pensé pour la détente et le lâcher-prise. La complicité s’instaure dès les premiers mots, accueillants, réconfortants. Ici on se pose, on abandonne ses soucis et on se retrouve soi, l’espace d’un moment. Les clientes, toutes en grande détresse, sont orientées chez Joséphine par les travailleurs sociaux. Une participation financière symbolique leur est demandée, question de dignité ! Un énorme dispositif possible uniquement grâce à des mécénats et la générosité des bénévoles qui offrent leur temps.

LA BEAUTÉ, UNE THÉRAPIE
J’accompagne Hidaya, pas trop rassurée, engoncée dans ses vêtements pour se cacher. Peau noire et humeur au plus bas, elle voudrait que l’on coiffe ses cheveux crépus qu’elle-même ne peigne plus. Paupières baissées, elle ne se regardera pas devant la glace jusqu’à ce qu’une belle coupe lui dégage son visage, laissant apparaître de jolis traits. Plus à l’aise, elle se risque à un soin esthétique. Quelques heures plus tard, lorsque Hidaya découvre son visage dans le miroir, elle reste un moment silencieuse et dit : « Dernièrement, lorsque je me regardais dans la glace, je ne voyais pas mon visage mais un visage inconnu… Mais là, j’aime bien ! Le moral était très bas lorsque je suis venue ici, mais ça va changer ! » Et d’un grand éclat de rire elle s’exclame : « Oui, j’aime bien ! » Hidaya repartira la tête haute, un large sourire ouvrant son visage et un brin de confiance en elle comme bagage.

POURQUOI VOULOIR RELEVER LE FÉMININ ?
« Après avoir coiffé stars et mannequins pendant des années de légèreté, j’étais dans une quête de sens. Je voulais aider. Je voulais aider le Féminin, mais celui en souffrance, celui qui est exclu de la société, le féminin cabossé. En accueillant ces femmes, en leur offrant de prendre soin d’elles pour qu’elles-mêmes puissent se réconcilier avec leur être, nous faisons déjà un pas vers la réinsertion. Car chacune a le droit d’être la femme qu’elle souhaite à condition qu’elle l’ait choisi. Mais les femmes vulnérables ne choisissent pas, elles subissent. Cette injustice m’est insupportable.

Il faut un côté enfantin pour s’élever contre l’injustice et pour se poser les bonnes questions : pourquoi des êtres naissent-ils sur terre pour mal vivre ? Pourquoi cette loterie d’être nés ou mal-nés ? En souhaitant enlever la peine à l’autre, je ne fais que mon devoir, celui de m’occuper de l’autre. Les choses ne se sont pas faites gratuitement. J’ai perdu mon père à 3 ans et me suis retrouvée jusqu’à l’âge de 16 ans dans un couvent sicilien, élevée par une tante. Dans cet univers exclusivement féminin, la féminité était cependant absente. J’observais. C’est alors que j’ai décidé de mon insolence. L’insolence est une force, un culot. J’ai décidé de me battre non pas contre les hommes, mais contre une société d’hommes. Car la femme vit dans un monde construit par les hommes et pour les hommes. On demande beaucoup trop aux femmes, et sans contrepartie… Une femme qui ne va pas bien a le regard triste. Elle ne se regarde plus. L’estime de soi appartient à ce qui est vital, tout comme manger. On peut tomber tellement bas, et même en mourir ! La beauté peut aider à aller mieux, comme une thérapie. Car l’être humain est beau. La beauté est en nous. Il suffit parfois d’aider l’autre à aller découvrir cette beauté enfouie… Et lorsqu’une maman va bien, ce sont ses enfants qui vont bien.

Nous qui nous sommes reconnues, nous devons aller au-devant de l’autre, lui tendre la main, l’aider à révéler toute sa richesse.
Si les hommes dirigent le monde, ce sont cependant nos mères qui ont créé la disharmonie. Ce sont elles qui éduquent les enfants, qui leur inculquent les valeurs. Ce sont elles qui transmettent. Et par transparence, par ignorance, par manque de courage, par peur, elles ont transmis l’irrespect et la non-reconnaissance de la femme. »

Message : Nous, Mères, Femmes, ayons le courage de nous relever, de dire Non. N’ayons pas peur ! Cessons de véhiculer la peur. Soyons audacieuses. Parlons des belles choses.
Son rêve : « J’ai foi en l’Humanité et si toutes les belles personnes autour du globe se donnaient la main, nous pourrions fermer le cercle. » J’en suis certaine. Unissons nos forces. On commence ?

Véronique Cloitre  (extrait du livre Femmes du Monde, Mères du Nouveau Monde, Ed.Dangles, 2014)

En 2009, Lucia a reçu la Légion d’honneur ; en 2010, le Prix des femmes pour le développement durable.
www.josephinebeaute.fr

195 GF P.288 Lucia Iraci Mères du monde


2 thoughts on “Lucia Iraci, sicilienne à Paris

  1. Totalement en accord avec vous. J’ai fait une formation de « conseillère en image » en 2011 et j’ai créé ma société ensuite mais je ne me sentais en accord avec l’image que les gens se faisaient de cette profession et je ne voulais « fabriquer » des bêtes de modes mais aider celles qui en avaient besoin alors j’ai tout arrêté.
    J’ai décidé de recommencer dans le bénévolat car cela s’adresse à un autre « public », comme vous le dîtes si bien.
    Alors félicitations et namasté comme on le dit en yoga (car c’est aussi cela…)

    1. Merci pour votre Beau message. Oui cet autre  »public » donne énormément avec beaucoup de volonté et de courage. Puis c’est toujours magique lorsqu’on est accompagnateur de voir se relever ces femmes qui sont en train de panser leurs blessures grâce à une écoute, une main tendue et l’invitation qui leur est faite de retrouver leur Beauté. Bravo à vous chère lectrice.Namaste

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