Mariam Nouri Herat, Afghanistan

Véronique Cloître

Fuir pour ne plus avoir peur

J’ai rencontré Mariam plusieurs fois dans l’établissement où elle est en « sécurité » avec son fils, mais il n’était pas envisageable de la questionner sur son départ d’Afghanistan. Les difficultés de la langue et surtout l’infinie tristesse de son regard s’y opposaient. Jusqu’à ce jour de mars 2013, où elle participait à une journée « pour prendre soin de soi ». Rassurée de ne pas être coiffée par un homme et que je ne la photographie pas sans son voile, Mariam s’est finalement prêtée aux soins et à toutes les attentions. En fait, Mariam se préparait sans le savoir à retrouver son mari et son fils aîné Ehrfan laissés en Afghanistan quelque vingt mois plus tôt… vingt longs mois sans aucune nouvelle d’eux, six cents jours à pleurer dans l’angoisse et l’incertitude de les revoir un jour. Et alors que Mariam se laissait coiffer, un appel au centre annonçait leur arrivée. Pas question de l’en avertir tant que l’information ne serait pas vérifiée. Élodie, l’assistante sociale du centre, et moi, qui partagions le secret, étions fébriles et regardions aussi avec crainte Mariam qui avait tenté des mèches blondes ! Les retrouvailles leur appartiennent. Une famille est réunie…Et lorsque j’ai revu Mariam quelques jours plus tard, elle était autre. Incroyable transformation ! Elle avait aussi autorisé la couleur dans sa vie puisqu’elle était vêtue de rouge. À présent, elle peut raconter…

« Je vivais avec mon père car maman est décédée alors que j’étais enfant. Comme c’est la tradition en Afghanistan, à la puberté il a trouvé un mari pour moi. Mais mon père était bon et il a demandé si j’étais d’accord. Je lui ai dit “Oui !” » Si les filles disent non à leur père, ne sont-elles pas obligées de se marier ? La question fait sourire Mariam. « Chez moi, oui, mais souvent les filles n’ont pas le choix, on les force. Moi, j’ai eu de la chance. Mon mari avait seize ans, et moi quinze. Certains maris sont très âgés. Nous nous sommes plu et nous nous aimons. Mon mari a toujours été respectueux avec moi. Il ne me frappait pas et me protégeait. Depuis mon mariage, je vivais avec lui chez ses parents. Ils étaient très durs avec moi, me surveillaient et me laissaient peu de liberté. Je devais faire les tâches ménagères et c’est tout. Comme j’ai arrêté l’école jeune, je n’étais pas informée et éduquée. Au bout d’un an, j’ai donné naissance à mon premier enfant dans une pièce de la maison, sans aucun suivi médical. Une femme est venue me faire accoucher. C’était long et horrible. Je criais sans cesse que je ne voulais pas mourir. Beaucoup meurent en donnant naissance à leurs enfants. Elles ne vont à l’hôpital que s’il y a un problème, mais c’est souvent trop tard. Et si le médecin est un homme, il ne peut de toute façon pas les soigner. Moi-même, j’ai perdu beaucoup de sang. Ma belle-mère ne m’avait pas parlé de l’accouchement. J’étais ignorante sur tout. Je n’avais bénéficié d’aucune transmission. Traumatisée, j’ai dit à mon mari que je ne voulais plus d’enfants ! Et comme mon mari m’aimait et était bon, il m’a écoutée et respectée. J’ai eu Amir huit ans après et je me suis fait suivre pour cette grossesse. Les autres filles ont des grossesses répétées mais n’ont pas le choix de décider… La vie était très difficile. Nous vivions dans la peur continuelle des bombardements et des talibans. Nous, les femmes, devions être intégralement couvertes, avions l’interdiction de nous maquiller, de sortir sans la présence d’un mahram, parent masculin. À l’intérieur de la maison, nous préparions le repas et ensuite nous étions dans la chambre, inactives et seules. Nous n’avions pas accès à la culture. C’est très long une journée. Je n’en pouvais plus. J’étouffais. Je revendiquais ma liberté, car je savais au fond de moi que ce que je vivais était injuste. »

En effet, les restrictions imposées par les talibans anéantissent l’esprit des femmes en les privant de toute existence humaine. Alors qu’ils déclarent illégal de maintenir les oiseaux en cage, ils emprisonnent les femmes à l’intérieur de leur propre maison. Selon les talibans, les femmes n’ont aucun autre rôle à jouer que celui de procréer, satisfaire les besoins sexuels des hommes ou s’atteler aux tâches domestiques. Elles ont donc l’interdiction totale d’étudier, de travailler, d’avoir une activité culturelle, sportive, de se maquiller, de porter des talons, de chanter, danser et même de tenir un cerf-volant (passe-temps national). Aucune partie du corps ne doit être visible et le port de la burqa est obligatoire. Il leur est interdit d’apparaître au balcon des maisons et les fenêtres doivent être peintes pour éviter que les femmes ne soient vues de l’extérieur. Des vigiles patrouillent dans les rues à la recherche d’une jeune fille maquillée, d’un éclat de rire. Elles sont séparées des hommes dans les transports en commun et seuls les coffres des taxis leur sont autorisés. Le non-respect de ces lois entraîne des peines allant du fouet à la lapidation publique. Certes, depuis dix années la pression internationale a permis d’obtenir des droits pour les femmes, avec notamment le décret intitulé « Élimination de la violence contre les femmes » signé par le président Hamid Karzaï en 2009, mais la loi n’a toujours pas été votée par le Parlement à cause des réticences de certains députés. Le texte pénalise vingt-deux types de violences à l’encontre des femmes et notamment, pour la première fois, le viol, le mariage forcé (l’âge légal du mariage étant seize ans) et le crime d’honneur. Fawzia Koofi présidente de la commission des femmes au Parlement explique :« Quelques députés s’y sont violemment opposés, ils pensent que si l’on donne plus de liberté aux femmes elles arrêteront de leur obéir. Ils ont peur de perdre leurs servantes… Ce qui me déçoit, c’est qu’il y a aussi des femmes qui s’opposent à cette loi. » Malgré les avancées considérables depuis la chute du gouvernement taliban (les filles représentent 40 % des élèves aujourd’hui), le statut des femmes est menacé. Il pourrait servir de monnaie d’échange aux négociations du président actuel avec les talibans.

« Mon mari, qui est tailleur, avait une boutique. Il a épargné afin que je puisse fuir avec Amir, mon second fils, lorsqu’il avait un an. Il avait promis de nous rejoindre avec l’aîné le temps de gagner l’argent nécessaire pour les passeurs. Il nous a offert notre liberté et peut-être la vie sauve. Je lui suis très reconnaissante. » Le départ et les trois mois de clandestinité au milieu d’un groupe restent une période difficile sur laquelle Mariam est peu prolixe. Cachés dans des coffres de voiture, des trains, marchant des jours et des nuits, sans nourriture ni eau, seuls les plus forts arrivaient. « Beaucoup de femmes sont tombées et ne se sont pas relevées, dit-elle. Je n’avais qu’une obsession, faire taire Amir pour qu’il ne nous fasse pas repérer. Sans cesse je lui donnais le sein, le biberon, la sucette… »

Ils sont arrivés en France il y a un an et neuf mois, et sont toujours en attente de régularisation. C’est un autre combat. Mais Mariam le vit mal. « On peut devenir fou dans cette attente. Car on a toujours peur de devoir partir… » Mariam a longtemps fait le rêve de revoir son mari et son fils. Il s’est réalisé. Son mari l’a remerciée d’avoir conservé le voile mais est très heureux qu’elle puisse se maquiller, s’habiller, sortir. Ehrfan a rejoint un collège et s’adapte avec beaucoup de facilité. Le souhait de cette famille : rester en France, avoir des papiers pour leur sécurité et une reconnaissance en tant qu’individus, pouvoir travailler. Et pour votre pays ? « Que la paix s’installe afin que les hommes et les femmes soient libres. Mais il ne faut pas pour autant qu’il ressemble à la France. Ici, il y a beaucoup de pauvreté, d’exclusion, des gens qui dorment dans la rue, des personnes seules. » Et pour tes fils ? « Je leur ai donné la vie. Ils vont grandir dans une autre culture, et la différence n’est pas un problème. Je respecterai leur choix de vie. Ce qui est important, c’est leur sécurité et leur liberté. »

Message :  Il est primordial que les filles puissent aller à l’école. Ainsi, elles seront protégées et informées contre des pratiques comme le mariage forcé. Lorsqu’une fille a la connaissance, elle peut se défendre et ne pas tout accepter.


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