HOUSSENA SAID, Ethiopie

Véronique Cloître

Animatrice d’Illalta, ancienne exciseuse

« Je m’appelle Mimi, mon vrai nom est Housseina Said, je pense que j’ai 28 ans, ou 30 ans, ou peut-être plus, ou un peu moins. Je ne sais pas vraiment. Je dis ça parce que là où je suis née, il n’y a pas des personnes qui s’occupent spécialement de noter le jour, l’heure et la date de naissance des bébés, comme cela se passe dans vos pays.

À mon époque, toutes les petites filles étaient excisées et infibulées dans mon village. Moi, j’ai été excisée par ma grand-mère qui était une exciseuse très connue dans la région. J’étais fière d’avoir été excisée par la meilleure exciseuse du village dont toutes les femmes du village vantaient le savoir-faire et le doigté. Je ne pouvais pas parler de la souffrance endurée ce jour-là. Il était impensable que la petite-fille de Kamissi raconte la douleur ressentie et le déroulement de l’opération. Je devais être à la hauteur de l’estime que les villageoises portaient à ma grand-mère.

Dans le village, il y avait bien deux autres exciseuses, mais aucune n’arrivait à l’égaler. Il faut dire une chose importante : grand-mère n’a jamais compté de décès parmi les petites qu’elle opérait, et ceci durant toute la durée de son activité d’exciseuse.

Quand j’ai eu 10 ou peut-être 12 ans – c’est toujours pareil, je ne sais pas exactement, mais c’est l’année où j’ai eu mes règles –, mon père est mort. J’ai été élevée par ma mère et ma grand-mère. Je ne suis jamais allée à l’école, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’école dans tous les villages en pays Afar, et que nous n’avions pas assez d’argent pour aller dans ces endroits-là. Les années passant, grand-mère a acquis une certaine expérience et est devenue célèbre parce qu’elle n’avait eu aucun accident. Grâce à cette notoriété, elle tirait des ressources qui nous permettaient de vivre et même d’améliorer notre quotidien. Et puis, nous avions un peu de troupeau dont je m’occupais chaque jour.

J’étais tellement fière de ma grand-mère que je rêvais de faire le même métier qu’elle. À aucun moment, malgré ce que j’avais subi moi-même, je n’imaginais la souffrance de toutes les petites que grand-mère excisait et infibulait.

Le jour où j’ai commencé à exercer, j’ai eu à affronter les regards des petites filles, l’effroi, la peur. Il faillait aussi faire face aux cris et aux hurlements des fillettes. C’est la raison pour laquelle j’ai raté à deux reprises l’excision de deux fillettes de notre village. Ma main tremblait, je n’arrivais pas à la contrôler, j’étais perturbée. Et les pauvres petites devaient repasser par une autre exciseuse à cause de moi. J’étais vraiment troublée.Houssena Said

Je me suis rendu compte que, contrairement à grand-mère, je n’étais pas faite du tout pour pratiquer ce métier, mais je continuais tout de même à exciser, uniquement pour des raisons économiques, notre troupeau étant décimé à cause de la sécheresse qui sévissait depuis des années en région Afar. C’était là mon unique ressource.

C’est durant cette période de doute et d’hésitation que j’ai rencontré Aicha et Christiane Poyet de l’association Illalta dans mon village de Anedido. Illalta faisait justement une campagne contre les méfaits de l’excision et de l’infibulation à ce moment-là. Nous avons assisté à plusieurs rencontres et réunions mises en place par l’association. Six mois plus tard, nous étions quatre exciseuses à non seulement déposer mais également enterrer pour toujours les couteaux qui faisaient tant de souffrance et de dégâts. Nous avons ensuite pu suivre la première partie de la formation de “Ullat Ina” (sage-femme traditionnelle) financée par Illalta et dispensée par le docteur Claude Tourné, un grand accoucheur français qui sait parler aux Ullat Ina Afar. Cette formation a été suivie par une autre très intéressante. Aujourd’hui, nous devons finaliser cela par des stages pratiques à la maternité de Dalé fagué, sous la direction du docteur Tourné, mais, pour l’instant, il n’y a pas de financement pour cette formation. Nous ne savons pas quand elle aura lieu exactement.

C’est ainsi que je suis devenue animatrice et représentante de l’association Illalta à Anedido. Je m’occupe, avec trois anciennes exciseuses, de sensibiliser les villageoises et les villageois de notre région aux méfaits des mutilations génitales féminines (MGF).

Pour être à l’écoute des problèmes des femmes du secteur d’Anedido, nous assurons trois fois par semaine des permanences dans la maison d’Illalta. Nous recevons des femmes enceintes, mais également des jeunes filles et des veuves victimes du mariage forcé. Devenues veuves, les femmes Afar doivent obligatoirement épouser le frère ou un cousin du défunt pour rester dans la communauté du mari. Certaines veuves acceptent, d’autres refusent et viennent nous voir pour avoir de l’aide et du soutien. Je suis l’unique salariée d’Illalta à Anedido, les autres anciennes exciseuses travaillent bénévolement pour le moment. J’espère que l’association trouvera rapidement les moyens de financer leurs activités, parce qu’elles font un travail utile et important. Et surtout, il ne faut absolument pas qu’elles reprennent leur ancienne activité pour des raisons économiques.

La rencontre avec Christiane Poyet, présidente d’Illalta, a changé ma vie, parce qu’elle a mis fin au face-à-face entre Mimi l’exciseuse et les petites filles sur le point d’être excisées.

Désormais, je vois de près les méfaits et les ravages causés par les mutilations génitales féminines en tant qu’accoucheuse.

Je suis devenue une militante anti-MGF connue dans mon village, comme grand-mère l’était, mais pour tout autre chose. »

Message :

Il faut donner les moyens aux anciennes exciseuses de se reconvertir afin de leur assurer une activité économique

Véronique Cloître

[1] Association qui a pour but de lutter contre les mutilations sexuelles féminines ainsi que leurs conséquences en région Afar d’Éthiopie. Voir le site illalta.free.fr


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